written in the stars

It's all about the money ›

La porte du bureau somptueux s’ouvrit dans une symphonie de lumière, les dorures de la poignée se reflétant sur celles du plafond. Tout dans ce bureau hurlait l’opulence tellement fort que le simple son du loquet de la porte glissant sur ses gonds devait valoir plus cher que tout ce que la pauvrette qui entra portait. Marthe, femme de chambre, femme de ménage, gouvernante, un peu tout ce que les de Rubercy voulaient faire d’elle. Madame la mère de Rubercy n’était pas tendre et depuis qu’elle travaillait à son service, son mari s’inquiétant peu de savoir qui repassait ses chemises tant qu’il pouvait les porter, Marthe n’avait pas regretté un seul jour de partir de la Sarthe, sa terre natale pour suivre les Langlois de Rubercy jusqu’à leur villa immense où elle s’était perdue plus d’une fois avant d’en connaître les moindres recoins. Qu’est-ce qu’elle détestait la mère, mégère incapable de faire fonctionner un aspirateur mais assez de venin sur la langue pour lui donner envie de l’en étrangler avec le câble de recharge de l’appareil quand elle s’activait à la couvrir de reproches.

Elle n’avait rien à dire sur le père. Elle connaissait par cœur leurs emplois du temps et elle s’arrangeait toujours pour venir faire le ménage de monsieur le père quand il était absent. Pourtant, une tête aux sourcils froncés se leva dans sa direction quand elle entra dans le bureau où il avait pour habitude de travailler. Mais ce n’était pas la tête fermée du père de Rubercy. C’était celle de l’ange providentiel qu’ils aimaient à appeler leur fils aîné : Andrea Langlois de Rubercy. Elle aimait à penser qu’il y avait du bon en lui. Elle se plaisait à lui imaginer des histoires qui l’auraient sorti de ce carcan que ses parents avaient construit pour lui bien avant sa naissance, elle adorait se dire, secrètement, qu’il était amoureux, amoureux d’une fille qui n’aurait rien eu à voir avec ce que ses parents voulaient pour lui. Qu’il donne un grand coup de pied dans cette fourmilière tellement bien organisée sur des bases tellement bancales que c’était un véritable miracle qu’elle tienne encore le coup. Dieu, elle aurait certainement jeté son tablier pour se transformer en voyante si elle avait su qu’elle n’avait presque pas tort. Mais assez ironiquement, ne connaissant pas le futur, elle ne se doutait pas qu’elle avait été capable de le prescrire et qu’elle basait ses fantasmes silencieux sur le véritable destin de la famille Langlois de Rubercy.

Mais l’heure n’était pas à la révolution, ni-même à la reconversion. Pour le moment, et, devant la mine assez circonspecte d’Andrea, surpris de la voir débarquer dans le bureau de son père alors qu’il y travaillait, marchant dans ses pas jusqu’à s’asseoir sur son trône, elle se confondit en excuses. Excuses qu’Andrea accueillit avec un léger sourire à la fois amusé et calme. Il y avait du bon en lui et quand son père n’était pas là et que sa mère avait pris soin à ce qu’il ne manque d’absolument rien, quitte à lui donner huit fois trop d’amour et d’attention, au détriment des autres de la tribu Langlois De Rubercy, il avait l’air presque humain. Presque.

« Ne vous inquiétez pas Marthe, je suis à vrai dire, même content de tomber sur vous. »

Sans prendre le temps de ranger les papiers qu’il s’affairait à lire, parapher, signer, écrire, trier, détruire… Il se leva et contourna le bureau pour s’approcher d’elle. Et elle, le regardait. Elle ne le trouvait pas spécialement beau et il ne l’attirait pas spécialement. Mais il avait quelque chose. Quelque chose qui l’intriguait. Elle avait l’impression qu’en le regardant s’approcher, elle touchait du doigt un monde qu’elle n’avait fait qu’imaginer. Pas celui des Langlois De Rubercy, elle en était douloureusement proche au point de les haïr. Pas le leur, le sien. Celui d’Andrea.

Andrea ne vivait pas chez ses parents, il ne passait d’ailleurs pas tous les jours, peut-être quelques fois par semaine, pour le dîner, et encore. Parfois, il passait quelques jours, pour les vacances ou juste pour voir sa famille, parfois, il passait des heures à s’entretenir avec son père dans son bureau. Elle aimait les moments où il était là, parce qu’après, ses parents étaient plus doux avec elle. Elle savait bien qu’il n’y était pour rien. Mais il l’intriguait. Elle se demandait ce qu’il faisait de ses journées, ce qu’il faisait même de sa vie avec autant d’argent. Dieu, qu’il en fallait de la présence et de la prestance pour transformer son corps de serpent en silhouette aussi altière quand il se planta devant elle, les mains délicatement placées dans les poches de son habit qui devait valoir plus que la voiture qu’elle conduisait quand elle devait faire leurs courses ou amener leurs habits les plus somptueux au pressing. Vêtu d’un pantalon chiné gris taillé sur mesure et d’un pull noir ras le corps, elle avait rêvé plus d’une fois oser lui demander qui il retrouvait le soir quand il partait, où il vivait, qui était ses amis, pourquoi, à son âge, n’avait-il pas déjà de femme ? Comment son père avait accepté de ne pas le marier à un bon parti ? Comment faisait-il ? Pour Marthe, Andrea était un puzzle, une énigme. Mais il fallait bien laisser ses pensées dans un coin et ne pas les laisser envahir ses lippes, c’était lui qui parlait.

« Dites à mon père qu’il trouvera les propositions d’agrandissement du musée d’art moderne sur son bureau dès qu’il rentrera et que je les ai déjà annotées. »

« Bien monsieur. Autre chose ? »

Semblant réfléchir, il finit par hocher la tête

« Ma mère s’est absentée, savez-où par le plus grand des hasards où elle aurait rangé mon costume noir ? »

S’il y avait bien quelque chose que sa mère détestait que Marthe touche, c’était bien les affaires d’Andrea. Elle avait bien le droit de faire le ménage dans la chambre qu’il avait chez ses parents, elle n’avait pas le droit de toucher à ses affaires. Andrea était son obsession. Elle ne parlait que de lui, ne pensait qu’à lui. Son premier né, son seul fils, son aîné, son tout. Il ne passait pas une seule journée sans qu’elle ne lui envoie un message pour prendre de ses nouvelles. Mais heureusement, Marthe connaissait le manoir par cœur.

« Le Versace ou le Christian Dior monsieur ? »

Un léger éclat de rire secoua ses épaules avant qu’il ne les hausse

« Le Dior enfin, quelle question. »

N’en posant pas plus, elle hocha la tête et fila à travers les couloirs jusqu’au dressing pendant que Andrea fermait la porte du bureau à clé pour descendre les immenses escaliers et rejoindre le hall. Quand elle revint, tenant l’habit dans une housse de soie blanche, il le saisit et le renversa dans le creux de son coude. Sa mère aurait certainement crisé mais il s’en fichait -et de toute façon, elle ne lui aurait rien dit. Elle ne lui disait jamais rien.

« Dites à ma mère que je suis parti quand elle rentrera. Je reviendrai pour déjeuner dans trois jours. »

« Bien monsieur. »

***
L’immense voiture d’Andrea crissa devant l’immense portail. Si ce dernier avait été ouvert bien avant par les domestiques qui, à force, connaissaient sa voiture et s’arrangeaient pour toujours lui ouvrir quand il arrivait, il aimait s’arrêter pour les saluer. Sans doute trop riche pour être véritablement réel, pas assez jeune pour être un connard prétentieux. Saluant les deux gardes armés qui surveillaient l’entrée et la jeune femme qui tenait sans doute plus à sa liste de rendez-vous, seuls chanceux qui avaient le droit d’entrer qu’à sa propre vie, il finit par enfoncer la pédale d’accélérateur et arrêta enfin sa berline devant sa maison. Le manoir était immense. Il le connaissait par cœur. Il l’avait designé avec ses parents, cadeau de ces derniers pour son vingtième anniversaire… Cadeau auquel il avait rajouté, au fil du temps, ses petites touches personnelles. Sa piscine, sa salle de cinéma, son jardin, son bureau, tout avait été redécoré comme il le voulait. Calme, grandiose. Palace absolu.

Andrea était un homme plutôt pudique. Voire même carrément secret. Personne ne le connaissait vraiment. Il donnait des tonnes et des tonnes d’interviews mais c’était à chaque fois pour encenser quelque chose ou quelqu’un qu’il soutenait plutôt que pour parler de lui. Le déchiffrer était devenu la mission toute personnelle de quelques pages instagram qui lui inventaient une vie, des conquêtes, des histoires avec des actrices, une romance avec Monica Bellucci, Jessica Chastain… Dieu qu’ils étaient loin de la réalité…

L’air chaud d’un mois de mai du Sud de la France le poussa à abandonner ses habits de ville pour se vêtir d’une chemise bleu chinée manches courtes et d’un bermuda blanc. La tenue était simple mais elle avait sans doute elle aussi coûté plusieurs milliers d’euros.
Il était temps de la retrouver elle. Elle. Celle à qui il pensait jour et nuit et étrangement, ses pensées n'étaient pas romantiques ou même ne serait-ce que sexuelle. Il nourrissait pour elle une affection et un intérêt qui convenait bien à sa pudeur. Il s'était assis un jour à ses côtés, quand il l'avait trouvée, squelettique dans la rue, trempée, sale, certainement à penser comment elle allait pouvoir faire pour survivre jusqu'au lendemain, ou pire, comment elle allait faire pour mettre fin à ses souffrances. Et c'était lui qui avait trouvé la réponse à ses questions. Il ne lui avait rien demandé. Il lui avait simplement offert. Offert un toit, des repas chaud, des habits propres, un endroit où elle ne serait plus jamais en danger et pour cause, en plus de sa chambre qu'elle ne partageait avec personne d'autre et dont elle possédait la clé, chambre qui disposait d'une grande salle de bain pour qu'elle n'ait même pas à la quitter, le domaine dans lequel elle vivait était des plus sécurisé. Les immeubles de l'Upper east side qui l'entourait n'avait rien des quartiers dangereux où une Drag Queen comme elle n'aurait pas pu faire deux pas sans se faire emmerder. Elle ne risquait rien. Le seul qui aurait pu être un danger était sans doute celui qui lui avait démontré le plus de gentillesse... Et Andrea ne comprenait d'ailleurs toujours pas pourquoi. Pourquoi maintenant ? Pourquoi elle ? Celle qui lui avait fait bafouer toutes ses convictions une par une ou toutes en même temps. Pour elle, il avait ouvert les portes du palais des Langlois de Rubercy mais pas que. Pour elle, Andrea était moins mutique, moins méfiant, moins secret, plus doux, plus abordable.